ソシュール『一般言語学講義』註解 #17
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原著: pp. 189-192
小林訳: pp. 191-194
菅田訳: pp. 130-133
町田訳: pp. 190-193
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文
CHAPITRE VIII
ROLE DES ENTITÉS ABSTRAITES EN GRAMMAIRE
¹⁸⁹⁻³Il y a un sujet important qui n’a pas encore été touché et qui montre justement la nécessité d’examiner toute question grammaticale sous les deux points de vue distingués plus haut. ¹⁸⁹⁻⁶Il s’agit des entités abstraites en grammaire. Envisageons-les d’abord sous l’aspect associatif.
[…] ¹⁹⁰⁻²soit les trois génitifs latins : $${\textit{domin-ī,}}$$ $${\textit{rēg-is,}}$$ $${\textit{ros-ārum}}$$ ; les sons des trois désinences n’offrent aucune analogie qui donne prise à l’association ; mais elles sont pourtant rattachées par le sentiment d’une valeur commune qui dicte un emploi identique ; cela suffit pour créer l’association en l’absence de tout support matériel, et c’est ainsi que la notion de génitif en soi prend place dans la langue. ¹⁹⁰⁻⁸C’est par un procédé tout semblable que les désinences de flexion $${\textit{-us}}$$ $${\textit{-ī}}$$ $${\textit{-ō,}}$$ etc. (dans $${\textit{dominus,}}$$ $${\textit{dominī,}}$$ $${\textit{dominō,}}$$ etc.), sont reliées dans la conscience et dégagent les notions plus générales de cas et de désinence casuelle. ¹⁹⁰⁻¹²Des associations du même ordre, mais plus larges encore, relient tous les substantifs, tous les adjectifs, etc., et fixent la notion des parties du discours.
¹⁹⁰⁻¹⁶Toutes ces choses existent dans la langue, mais à titre $${\text{d’}\textit{entités}}$$ $${\textit{abstraites}}$$ ; leur étude est difficile, parce qu’on ne peut savoir exactement si la conscience des sujets parlants va toujours aussi loin que les analyses du grammairien. ¹⁹⁰⁻¹⁹Mais l’essentiel est que $${\textit{les}}$$ $${\textit{entités}}$$ $${\textit{abstraites}}$$ $${\textit{reposent}}$$ $${\textit{toujours,}}$$ $${\textit{en}}$$ $${\textit{dernière}}$$ $${\textit{analyse,}}$$ $${\textit{sur}}$$ $${\textit{les}}$$ $${\textit{entités}}$$ $${\textit{concrètes.}}$$ […]
¹⁹⁰⁻²⁵Plaçons-nous maintenant au point de vue syntagmatique. ¹⁹⁰⁻²⁶La valeur d’un groupe est souvent liée à l’ordre de ses éléments. ¹⁹⁰⁻²⁷En analysant un syntagme, le sujet parlant ne se borne pas à en distinguer les parties ; il constate entre elles un certain ordre de succession. ¹⁹⁰⁻²⁹Le sens du français $${\textit{désir-eux}}$$ ou du latin $${\textit{signi-fer}}$$ dépend de la place respective des sous-unités : on ne saurait dire $${\textit{eux-désir}}$$ ou $${\textit{fer-signum.}}$$ ¹⁹⁰⁻³²Une valeur peut même n’avoir aucun rapport dans un élément concret (tel que $${\textit{-eux}}$$ ou $${\textit{-fer}\text{)}}$$ et résulter de la seule ordonnance des termes ; si par exemple en français les deux groupes $${\textit{je}}$$ $${\textit{dois}}$$ et $${\textit{dois-je ?}}$$ ont des significations différentes, cela ne tient qu’à l’ordre des mots. ¹⁹¹⁻¹Une langue exprime quelquefois par la succession des termes une idée qu’une autre rendra par un ou plusieurs termes concrets ; l’anglais, dans le type syntagmatique $${\textit{gooseberry}}$$ $${\textit{wine}}$$ « vin de groseilles », $${\textit{gold}}$$ $${\textit{watch}}$$ « montre en or », etc., exprime par l’ordre pur et simple des termes des rapports que le français moderne marque par des prépositions ; à son tour, le français moderne rend la notion de complément direct uniquement par la position du substantif après le verbe transitif (cf. $${\textit{je}}$$ $${\textit{cueille}}$$ $${\textit{une}}$$ $${\textit{fleur}\text{),}}$$ tandis que le latin et d’autres langues le font par l’emploi de l’accusatif, caractérisé par des désinences spéciales, etc.
¹⁹¹⁻¹³Mais si l’ordre des mots est incontestablement une entité abstraite, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne doit son existence qu’aux unités concrètes qui la contiennent et qui courent sur une seule dimension. ¹⁹¹⁻¹⁶Ce serait une erreur de croire qu’il y a une syntaxe incorporelle en dehors de ces unités matérielles distribuées dans l’espace. ¹⁹¹⁻¹⁸En anglais $${\textit{the}}$$ $${\textit{man}}$$ $${\textit{I}}$$ $${\textit{have}}$$ $${\textit{seen}}$$ (« l’homme que j’ai vu ») nous montre un fait de syntaxe qui semble représenté par zéro, tandis que le français le rend par $${\textit{que.}}$$ ¹⁹¹⁻²¹Mais c’est justement la comparaison avec le fait de syntaxe français qui produit cette illusion que le néant peut exprimer quelque chose ; […]
¹⁹¹⁻³¹Une unité matérielle n’existe que par le sens, la fonction dont elle est revêtue ; […] ¹⁹²⁻¹Inversement […] un sens, une fonction n’existent que par le support de quelque forme matérielle ; […] ¹⁹²⁻⁶Ces deux principes, en se complétant, concordent avec nos affirmations relatives à la délimitation des unités.
註解
¹⁸⁹⁻³Il y a un sujet important qui n’a pas encore été touché et qui montre justement la nécessité d’examiner toute question grammaticale sous les deux points de vue distingués plus haut.
¹⁸⁹⁻⁶Il s’agit des entités abstraites en grammaire. Envisageons-les d’abord sous l’aspect associatif.
¹⁹⁰⁻²soit les trois génitifs latins : $${\textit{domin-ī,}}$$ $${\textit{rēg-is,}}$$ $${\textit{ros-ārum}}$$ ; les sons des trois désinences n’offrent aucune analogie qui donne prise à l’association ; mais elles sont pourtant rattachées par le sentiment d’une valeur commune qui dicte un emploi identique ; cela suffit pour créer l’association en l’absence de tout support matériel, et c’est ainsi que la notion de génitif en soi prend place dans la langue.
¹⁹⁰⁻⁸C’est par un procédé tout semblable que les désinences de flexion $${\textit{-us}}$$ $${\textit{-ī}}$$ $${\textit{-ō,}}$$ etc. (dans $${\textit{dominus,}}$$ $${\textit{dominī,}}$$ $${\textit{dominō,}}$$ etc.), sont reliées dans la conscience et dégagent les notions plus générales de cas et de désinence casuelle.
¹⁹⁰⁻¹²Des associations du même ordre, mais plus larges encore, relient tous les substantifs, tous les adjectifs, etc., et fixent la notion des parties du discours.
¹⁹⁰⁻¹⁶Toutes ces choses existent dans la langue, mais à titre $${\bm{d’}\textit{entités}}$$ $${\textit{abstraites}}$$ ; leur étude est difficile, parce qu’on ne peut savoir exactement si la conscience des sujets parlants va toujours aussi loin que les analyses du grammairien.
¹⁹⁰⁻¹⁹Mais l’essentiel est que $${\textit{les}}$$ $${\textit{entités}}$$ $${\textit{abstraites}}$$ $${\bm{reposent}}$$ $${\textit{toujours,}}$$ $${\bm{en}}$$ $${\bm{dernière}}$$ $${\bm{analyse,}}$$ $${\bm{sur}}$$ $${\textit{les}}$$ $${\textit{entités}}$$ $${\textit{concrètes.}}$$ […]
¹⁹⁰⁻²⁵Plaçons-nous maintenant au point de vue syntagmatique.
¹⁹⁰⁻²⁶La valeur d’un groupe est souvent liée à l’ordre de ses éléments.
¹⁹⁰⁻²⁷En analysant un syntagme, le sujet parlant ne se borne pas à en distinguer les parties ; il constate entre elles un certain ordre de succession.
¹⁹⁰⁻²⁹Le sens du français $${\textit{désir-eux}}$$ ou du latin $${\textit{signi-fer}}$$ dépend de la place respective des sous-unités : on ne saurait dire $${\textit{eux-désir}}$$ ou $${\textit{fer-signum.}}$$
¹⁹⁰⁻³²Une valeur peut même n’avoir aucun rapport dans un élément concret (tel que $${\textit{-eux}}$$ ou $${\textit{-fer}\text{)}}$$ et résulter de la seule ordonnance des termes ; si par exemple en français les deux groupes $${\textit{je}}$$ $${\textit{dois}}$$ et $${\textit{dois-je ?}}$$ ont des significations différentes, cela ne tient qu’à l’ordre des mots.
¹⁹¹⁻¹Une langue exprime quelquefois par la succession des termes une idée qu’une autre rendra par un ou plusieurs termes concrets ; l’anglais, dans le type syntagmatique $${\textit{gooseberry}}$$ $${\textit{wine}}$$ « vin de groseilles », $${\textit{gold}}$$ $${\textit{watch}}$$ « montre en or », etc., exprime par l’ordre pur et simple des termes des rapports que le français moderne marque par des prépositions ; à son tour, le français moderne rend la notion de complément direct uniquement par la position du substantif après le verbe transitif (cf. $${\textit{je}}$$ $${\textit{cueille}}$$ $${\textit{une}}$$ $${\textit{fleur}\text{),}}$$ tandis que le latin et d’autres langues le font par l’emploi de l’accusatif, caractérisé par des désinences spéciales, etc.
¹⁹¹⁻¹³Mais si l’ordre des mots est incontestablement une entité abstraite, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne doit son existence qu’aux unités concrètes qui la contiennent et qui courent sur une seule dimension.
¹⁹¹⁻¹⁶Ce serait une erreur de croire qu’il y a une syntaxe incorporelle en dehors de ces unités matérielles distribuées dans l’espace.
¹⁹¹⁻¹⁸En anglais $${\textit{the}}$$ $${\textit{man}}$$ $${\textit{I}}$$ $${\textit{have}}$$ $${\textit{seen}}$$ (« l’homme que j’ai vu ») nous montre un fait de syntaxe qui semble représenté par zéro, tandis que le français le rend par $${\textit{que.}}$$
¹⁹¹⁻²¹Mais c’est justement la comparaison avec le fait de syntaxe français qui produit cette illusion que le néant peut exprimer quelque chose ; […]
¹⁹¹⁻³¹Une unité matérielle n’existe que par le sens, la fonction dont elle est revêtue ; […]
¹⁹²⁻¹Inversement […] un sens, une fonction n’existent que par le support de quelque forme matérielle ; […]
¹⁹²⁻⁶Ces deux principes, en se complétant, concordent avec nos affirmations relatives à la délimitation des unités.
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