ソシュール『一般言語学講義』註解 #15
このシリーズについての概要および凡例はこちら。
原著: pp. 176-184
小林訳: pp. 178-186
菅田訳: pp. 114-125
町田訳: pp. 178-185
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文 § 1.
CHAPITRE VI
MÉCANISME DE LA LANGUE
§ 1. LES SOLIDARITÉS SYNTAGMATIQUES.
¹⁷⁶⁻⁴L’ensemble des différences phoniques et conceptuelles qui constitue la langue résulte donc de deux sortes de comparaisons ; les rapprochements sont tantôt associatifs, tantôt syntagmatiques ; les groupements de l’un et l’autre ordre sont, dans une large mesure, établis par la langue ; c’est cet ensemble de rapports usuels qui la constitue et qui préside à son fonctionnement.
¹⁷⁶⁻¹¹La première chose qui nous frappe dans cette organisation, ce sont les $${\textit{solidarités}}$$ $${\textit{syntagmatiques}}$$ : presque toutes les unités de la langue dépendent soit de ce qui les entoure sur la chaîne parlée, soit des parties successives dont elles se composent elles-mêmes.
¹⁷⁶⁻¹⁶La formation des mots suffit à le montrer. Une unité telle que $${\textit{désireux}}$$ se décompose en deux sous-unités $${(\textit{désir-eux}),}$$ mais ce ne sont pas deux parties indépendantes ajoutées simplement l’une à l’autre $${(\textit{désir}\text{+}\textit{eux}).}$$ ¹⁷⁶⁻¹⁹C’est un produit, une combinaison de deux éléments solidaires, qui n’ont de valeur que par leur action réciproque dans une unité supérieure $${(\textit{désir}\text{×}\textit{eux}).}$$ ¹⁷⁶⁻²²Le suffixe, pris isolément, est inexistant ; ce qui lui confère sa place dans la langue, c’est une série de termes usuels tels que $${\textit{chaleur-eux,}}$$ $${\textit{chanc-eux,}}$$ etc. ¹⁷⁶⁻²⁵A son tour, le radical n’est pas autonome ; il n’existe que par combinaison avec un suffixe ; dans $${\textit{roul-is,}}$$ l’élément $${\textit{roul-}}$$ n’est rien sans le suffixe qui le suit. ¹⁷⁷⁻¹Le tout vaut par ses parties, les parties valent aussi en vertu de leur place dans le tout, et voilà pourquoi le rapport syntagmatique de la partie au tout est aussi important que celui des parties entre elles. […]
¹⁷⁷⁻¹¹La langue présente, il est vrai, des unités indépendantes, sans rapports syntagmatiques ni avec leurs parties, ni avec d’autres unités. ¹⁷⁷⁻¹³Des équivalents de phrases tels que $${\textit{oui,}}$$ $${\textit{non,}}$$ $${\textit{merci,}}$$ etc., en sont de bons exemples. ¹⁷⁷⁻¹⁴Mais ce fait, d’ailleurs exceptionnel, ne suffit pas à compromettre le principe général. ¹⁷⁷⁻¹⁶Dans la règle, nous ne parlons pas par signes isolés, mais par groupes de signes, par masses organisées qui sont elles-mêmes des signes. ¹⁷⁷⁻¹⁸Dans la langue, tout revient à des différences, mais tout revient aussi à des groupements. ¹⁷⁷⁻²⁰Ce mécanisme, qui consiste dans un jeu de termes successifs, ressemble au fonctionnement d’une machine dont les pièces ont une action réciproque bien qu’elles soient disposées dans une seule dimension.
註解 § 1.
¹⁷⁶⁻⁴L’ensemble des différences phoniques et conceptuelles qui constitue la langue résulte donc de deux sortes de comparaisons ; les rapprochements sont tantôt associatifs, tantôt syntagmatiques ; les groupements de l’un et l’autre ordre sont, dans une large mesure, établis par la langue ; c’est cet ensemble de rapports usuels qui la constitue et qui préside à son fonctionnement.
¹⁷⁶⁻¹¹La première chose qui nous frappe dans cette organisation, ce sont les $${\textit{solidarités}}$$ $${\textit{syntagmatiques}}$$ : presque toutes les unités de la langue dépendent soit de ce qui les entoure sur la chaîne parlée, soit des parties successives dont elles se composent elles-mêmes.
¹⁷⁶⁻¹⁶La formation des mots suffit à le montrer. Une unité telle que $${\textit{désireux}}$$ se décompose en deux sous-unités $${(\textit{désir-eux}),}$$ mais ce ne sont pas deux parties indépendantes ajoutées simplement l’une à l’autre $${(\textit{désir}\text{+}\textit{eux}).}$$
¹⁷⁶⁻¹⁹C’est un produit, une combinaison de deux éléments solidaires, qui n’ont de valeur que par leur action réciproque dans une unité supérieure $${(\textit{désir}\text{×}\textit{eux}).}$$
¹⁷⁶⁻²²Le suffixe, pris isolément, est inexistant ; ce qui lui confère sa place dans la langue, c’est une série de termes usuels tels que $${\textit{chaleur-eux,}}$$ $${\textit{chanc-eux,}}$$ etc.
¹⁷⁶⁻²⁵A son tour, le radical n’est pas autonome ; il n’existe que par combinaison avec un suffixe ; dans $${\textit{roul-is,}}$$ l’élément $${\textit{roul-}}$$ n’est rien sans le suffixe qui le suit.
¹⁷⁷⁻¹Le tout vaut par ses parties, les parties valent aussi en vertu de leur place dans le tout, et voilà pourquoi le rapport syntagmatique de la partie au tout est aussi important que celui des parties entre elles.
¹⁷⁷⁻¹¹La langue présente, il est vrai, des unités indépendantes, sans rapports syntagmatiques ni avec leurs parties, ni avec d’autres unités.
¹⁷⁷⁻¹³Des équivalents de phrases tels que $${\textit{oui,}}$$ $${\textit{non,}}$$ $${\textit{merci,}}$$ etc., en sont de bons exemples.
¹⁷⁷⁻¹⁴Mais ce fait, d’ailleurs exceptionnel, ne suffit pas à compromettre le principe général.
¹⁷⁷⁻¹⁶Dans la règle, nous ne parlons pas par signes isolés, mais par groupes de signes, par masses organisées qui sont elles-mêmes des signes.
¹⁷⁷⁻¹⁸Dans la langue, tout revient à des différences, mais tout revient aussi à des groupements.
¹⁷⁷⁻²⁰Ce mécanisme, qui consiste dans un jeu de termes successifs, ressemble au fonctionnement d’une machine dont les pièces ont une action réciproque bien qu’elles soient disposées dans une seule dimension.
Cours 原文 § 2.
§ 2. FONCTIONNEMENT SIMULTANÉ DES DEUX FORMES DE GROUPEMENTS.
¹⁷⁷⁻²⁷Entre les groupements syntagmatiques, ainsi constitués, il y a un lien d’interdépendance ; ils se conditionnent réciproquement. ¹⁷⁷⁻²⁹En effet la coordination dans l’espace contribue à créer des coordinations associatives, et celles-ci à leur tour sont nécessaires pour l’analyse des parties du syntagme.
¹⁷⁷⁻³³Soit le composé $${\textit{dé-faire.}}$$ Nous pouvons le représenter sur un ruban horizontal correspondant à la chaîne parlée :
¹⁷⁸⁻²Mais simultanément et sur un autre axe, il existe dans le subconscient une ou plusieurs séries associatives comprenant des unités qui ont un élément commun avec le syntagme, par exemple :
¹⁷⁸⁻⁶De même, si le latin $${\textit{quadruplex}}$$ est un syntagme, c’est qu’il s’appuie aussi sur deux séries associatives :
¹⁷⁸⁻⁸C’est dans la mesure où ces autres formes flottent autour de $${\textit{défaire}}$$ ou de $${\textit{quadruplex}}$$ que ces deux mots peuvent être décomposés en sous-unités, autrement dit, sont des syntagmes. ¹⁷⁸⁻¹¹Ainsi $${\textit{défaire}}$$ serait inanalysable si les autres formes contenant $${\textit{dé-}}$$ ou $${\textit{faire}}$$ disparaissaient de la langue ; il ne serait plus qu’une unité simple et ses deux parties ne seraient plus opposables l’une à l’autre.
¹⁷⁹⁻³On comprend dès lors le jeu de ce double système dans le discours.
¹⁷⁹⁻⁵Notre mémoire tient en réserve tous les types de syntagmes plus ou moins complexes, de quelque espèce ou étendue qu’ils puissent être, et au moment de les employer, nous faisons intervenir les groupes associatifs pour fixer notre choix. ¹⁷⁹⁻⁹Quand quelqu’un dit $${\textit{marchons !,}}$$ il pense inconsciemment à divers groupes d’associations à l’intersection desquels se trouve le syntagme $${\textit{marchons !}}$$ ¹⁷⁹⁻¹¹Celui-ci figure d’une part dans la série $${\textit{marche !}}$$ $${\textit{marchez !,}}$$ et c’est l’opposition de $${\textit{marchons !}}$$ avec ces formes qui détermine le choix ; d’autre part, $${\textit{marchons !}}$$ évoque la série $${\textit{montons !}}$$ $${\textit{mangeons !}}$$ etc., au sein de laquelle il est choisi par le même procédé ; dans chaque série on sait ce qu’il faut faire varier pour obtenir la différenciation propre à l’unité cherchée. ¹⁷⁹⁻¹⁸Qu’on change l’idée à exprimer, et d’autres oppositions seront nécessaires pour faire apparaître une autre valeur ; on dira par exemple $${\textit{marchez !,}}$$ ou bien $${\textit{montons !}}$$
¹⁷⁹⁻²²Ainsi il ne suffit pas de dire, en se plaçant à un point de vue positif, qu’on prend $${\textit{marchons !}}$$ parce qu’il signifie ce qu’on veut exprimer. ¹⁷⁹⁻²⁴En réalité l’idée appelle, non une forme, mais tout un système latent, grâce auquel on obtient les oppositions nécessaire à la constitution du signe. ¹⁷⁹⁻²⁶Celui-ci n’aurait par lui-même aucune signification propre. ¹⁷⁹⁻²⁷Le jour où il n’y aurait plus $${\textit{marche !}}$$ $${\textit{marchez !}}$$ en face de $${\textit{marchons !,}}$$ certaines oppositions tomberaient et la valeur de $${\textit{marchons !}}$$ serait changée $${\textit{ipso}}$$ $${\textit{facto.}}$$
¹⁷⁹⁻³¹Ce principe s’applique aux syntagmes et aux phrases de tous les types, même les plus complexes. ¹⁷⁹⁻³²Au moment où nous prononçons la phrase : « que $${\textit{vous}}$$ dit-il ? », nous faisons varier un élément dans un type syntagmatique latent, par exemple « que $${\textit{te}}$$ dit-il ? » — « que $${\textit{nous}}$$ dit-il ? », etc., et c’est par là que notre choix se fixe sur le pronom $${\textit{vous.}}$$ ¹⁸⁰⁻²Ainsi dans cette opération, qui consiste à éliminer mentalement tout ce qui n’amène pas la différenciation voulue sur le point voulu, les groupements associatifs et les types syntagmatiques sont tous deux en jeu.
¹⁸⁰⁻⁶Inversement ce procédé de fixation et de choix régit les unités les plus minimes et jusqu’aux éléments phonologiques, quand ils sont revêtus d’une valeur. ¹⁸⁰⁻⁸Nous ne pensons pas seulement à des cas comme $${\textit{pәtit}}$$ (écrit « petite ») vis-à-vis de $${\textit{pәti}}$$ (écrit « petit »), ou lat. $${\textit{dominī}}$$ vis-à-vis de $${\textit{dominō,}}$$ etc., où la différence repose par hasard sur un simple phonème, mais au fait plus caractéristique et plus délicat, qu’un phonème joue par lui-même un rôle dans le système d’un état de langue. ¹⁸⁰⁻¹⁴Si par exemple en grec $${\textit{m,}}$$ $${\textit{p,}}$$ $${\textit{t,}}$$ etc., ne peuvent jamais figurer à la fin d’un mot, cela revient à dire que leur présence ou leur absence à telle place compte dans la structure du mot et dans celle de la phrase. ¹⁸⁰⁻¹⁷Or dans tous les cas de ce genre, le son isolé, comme toutes les autres unités, sera choisi à la suite d’une opposition mentale double : ainsi dans le groupe imaginaire $${\textit{anma,}}$$ le son $${\textit{m}}$$ est en opposition syntagmatique avec ceux qui l’entourent et en opposition associative avec tous ceux que l’esprit peut suggérer, soit :
$${\textit{a n m a}}$$
$${\textit{ v}}$$
$${\textit{ d}}$$
註解 § 2.
¹⁷⁷⁻²⁷Entre les groupements syntagmatiques, ainsi constitués, il y a un lien d’interdépendance ; ils se conditionnent réciproquement.
¹⁷⁷⁻²⁹En effet la coordination dans l’espace contribue à créer des coordinations associatives, et celles-ci à leur tour sont nécessaires pour l’analyse des parties du syntagme.
¹⁷⁷⁻³³Soit le composé $${\textit{dé-faire.}}$$ Nous pouvons le représenter sur un ruban horizontal correspondant à la chaîne parlée :
¹⁷⁸⁻²Mais simultanément et sur un autre axe, il existe dans le subconscient une ou plusieurs séries associatives comprenant des unités qui ont un élément commun avec le syntagme, par exemple :
¹⁷⁸⁻⁶De même, si le latin $${\textit{quadruplex}}$$ est un syntagme, c’est qu’il s’appuie aussi sur deux séries associatives :
¹⁷⁸⁻⁸C’est dans la mesure où ces autres formes flottent autour de $${\textit{défaire}}$$ ou de $${\textit{quadruplex}}$$ que ces deux mots peuvent être décomposés en sous-unités, autrement dit, sont des syntagmes.
¹⁷⁸⁻¹¹Ainsi $${\textit{défaire}}$$ serait inanalysable si les autres formes contenant $${\textit{dé-}}$$ ou $${\textit{faire}}$$ disparaissaient de la langue ; il ne serait plus qu’une unité simple et ses deux parties ne seraient plus opposables l’une à l’autre.
¹⁷⁹⁻³On comprend dès lors le jeu de ce double système dans le discours.
¹⁷⁹⁻⁵Notre mémoire tient en réserve tous les types de syntagmes plus ou moins complexes, de quelque espèce ou étendue qu’ils puissent être, et au moment de les employer, nous faisons intervenir les groupes associatifs pour fixer notre choix.
¹⁷⁹⁻⁹Quand quelqu’un dit $${\textit{marchons !,}}$$ il pense inconsciemment à divers groupes d’associations à l’intersection desquels se trouve le syntagme $${\textit{marchons !}}$$
¹⁷⁹⁻¹¹Celui-ci figure d’une part dans la série $${\textit{marche !}}$$ $${\textit{marchez !,}}$$ et c’est l’opposition de $${\textit{marchons !}}$$ avec ces formes qui détermine le choix ; d’autre part, $${\textit{marchons !}}$$ évoque la série $${\textit{montons !}}$$ $${\textit{mangeons !}}$$ etc., au sein de laquelle il est choisi par le même procédé ; dans chaque série on sait ce qu’il faut faire varier pour obtenir la différenciation propre à l’unité cherchée.
¹⁷⁹⁻¹⁸Qu’on change l’idée à exprimer, et d’autres oppositions seront nécessaires pour faire apparaître une autre valeur ; on dira par exemple $${\textit{marchez !,}}$$ ou bien $${\textit{montons !}}$$
¹⁷⁹⁻²²Ainsi il ne suffit pas de dire, en se plaçant à un point de vue positif, qu’on prend $${\textit{marchons !}}$$ parce qu’il signifie ce qu’on veut exprimer.
¹⁷⁹⁻²⁴En réalité l’idée appelle, non une forme, mais tout un système latent, grâce auquel on obtient les oppositions nécessaire à la constitution du signe.
¹⁷⁹⁻²⁶Celui-ci n’aurait par lui-même aucune signification propre.
¹⁷⁹⁻²⁷Le jour où il n’y aurait plus $${\textit{marche !}}$$ $${\textit{marchez !}}$$ en face de $${\textit{marchons !,}}$$ certaines oppositions tomberaient et la valeur de $${\textit{marchons !}}$$ serait changée $${\bm{ipso}}$$ $${\bm{facto.}}$$
¹⁷⁹⁻³¹Ce principe s’applique aux syntagmes et aux phrases de tous les types, même les plus complexes.
¹⁷⁹⁻³²Au moment où nous prononçons la phrase : « que $${\textit{vous}}$$ dit-il ? », nous faisons varier un élément dans un type syntagmatique latent, par exemple « que $${\textit{te}}$$ dit-il ? » — « que $${\textit{nous}}$$ dit-il ? », etc., et c’est par là que notre choix se fixe sur le pronom $${\textit{vous.}}$$
¹⁸⁰⁻²Ainsi dans cette opération, qui consiste à éliminer mentalement tout ce qui n’amène pas la différenciation voulue sur le point voulu, les groupements associatifs et les types syntagmatiques sont tous deux en jeu.
¹⁸⁰⁻⁶Inversement ce procédé de fixation et de choix régit les unités les plus minimes et jusqu’aux éléments phonologiques, quand ils sont revêtus d’une valeur.
¹⁸⁰⁻⁸Nous ne pensons pas seulement à des cas comme $${\textit{pәtit}}$$ (écrit « petite ») vis-à-vis de $${\textit{pәti}}$$ (écrit « petit »), ou lat. $${\textit{dominī}}$$ vis-à-vis de $${\textit{dominō,}}$$ etc., où la différence repose par hasard sur un simple phonème, mais au fait plus caractéristique et plus délicat, qu’un phonème joue par lui-même un rôle dans le système d’un état de langue.
¹⁸⁰⁻¹⁴Si par exemple en grec $${\textit{m,}}$$ $${\textit{p,}}$$ $${\textit{t,}}$$ etc., ne peuvent jamais figurer à la fin d’un mot, cela revient à dire que leur présence ou leur absence à telle place compte dans la structure du mot et dans celle de la phrase.
¹⁸⁰⁻¹⁷Or dans tous les cas de ce genre, le son isolé, comme toutes les autres unités, sera choisi à la suite d’une opposition mentale double : ainsi dans le groupe imaginaire $${\textit{anma,}}$$ le son $${\textit{m}}$$ est en opposition syntagmatique avec ceux qui l’entourent et en opposition associative avec tous ceux que l’esprit peut suggérer, soit :
Cours 原文 § 3.
§ 3. L’ARBITRAIRE ABSOLU ET L’ARBITRAIRE RELATIF.
¹⁸⁰⁻²⁷Le mécanisme de la langue peut être présenté sous un autre angle particulièrement important.
¹⁸⁰⁻²⁹Le principe fondamental de l’arbitraire du signe n’empêche pas de distinguer dans chaque langue ce qui est radicalement arbitraire, c’est-à-dire immotivé, de ce qui ne l’est que relativement. ¹⁸⁰⁻³²Une partie seulement des signes est absolument arbitraire ; chez d’autres intervient un phénomène qui permet de reconnaître des degrés dans l’arbitraire sans le supprimer : $${\textit{le}}$$ $${\textit{signe}}$$ $${\textit{peut}}$$ $${\textit{être}}$$ $${\textit{relativement}}$$ $${\textit{motivé.}}$$
¹⁸¹⁻⁵Ainsi $${\textit{vingt}}$$ est immotivé, mais $${\textit{dix-neuf}}$$ ne l’est pas au même degré, parce qu’il évoque les termes dont il se compose et d’autres qui lui sont associés, par exemple $${\textit{dix,}}$$ $${\textit{neuf,}}$$ $${\textit{vingt-neuf,}}$$ $${\textit{dix-huit,}}$$ $${\textit{soixante-dix,}}$$ etc. ; pris séparément, $${\textit{dix}}$$ et $${\textit{neuf}}$$ sont sur le même pied que $${\textit{vingt,}}$$ mais $${\textit{dix-neuf}}$$ présente un cas de motivation relative. ¹⁸¹⁻¹⁰Il en est de même pour $${\textit{poirier,}}$$ qui rappelle le mot simple $${\textit{poire}}$$ et dont le suffixe $${\textit{-ier}}$$ fait penser à $${\textit{cerisier,}}$$ $${\textit{pommier,}}$$ etc. ; pour $${\textit{frêne,}}$$ $${\textit{chêne,}}$$ etc., rien de semblable. ¹⁸¹⁻¹³Comparez encore $${\textit{berger,}}$$ complètement immotivé, et $${\textit{vacher,}}$$ relativement motivé ; […]
¹⁸²⁻¹⁴Jusqu’ici, les unités nous sont apparues comme des valeurs, c’est-à-dire comme les éléments d’un système, et nous les avons considérées surtout dans leurs oppositions ; maintenant nous reconnaissons les solidarités qui les relient ; elles sont d’ordre associatif et d’ordre syntagmatique, et ce sont elles qui limitent l’arbitraire. ¹⁸²⁻¹⁹$${\textit{Dix-neuf}}$$ est solidaire associativement de $${\textit{dix-huit,}}$$ $${\textit{soixante-dix}}$$ etc., et syntagmatiquement de ses éléments $${\textit{dix}}$$ et $${\textit{neuf.}}$$ ¹⁸²⁻²²Cette double relation lui confère une partie de sa valeur. […]
¹⁸³⁻⁴Il n’existe pas de langue où rien ne soit motivé ; quant à en concevoir une où tout le serait, cela serait impossible par définition. ¹⁸³⁻⁶Entre les deux limites extrêmes — minimum d’organisation et minimum d’arbitraire — on trouve toutes les variétés possibles. ¹⁸³⁻⁸Les divers idiomes renferment toujours des éléments des deux ordres — radicalement arbitraires et relativement motivés — mais dans des proportions très variables, et c’est là un caractère important, qui peut entrer en ligne de compte dans leur classement.
¹⁸³⁻¹³En un certain sens — qu’il ne faut pas serrer de trop près, mais qui rend sensible une des formes de cette opposition — on pourrait dire que les langues où l’immotivité atteint son maximum sont plus $${\textit{lexicologiques,}}$$ et celles où il s’abaisse au minimum, plus $${\textit{grammaticales.}}$$ ¹⁸³⁻¹⁷Non que « lexique » et « arbitraire » d’une part, « grammaire » et « motivation relative » de l’autre, soient toujours synonymes ; mais il y a quelque chose de commun dans le principe. ¹⁸³⁻²¹Ce sont comme deux pôles entre lesquels se meut tout le système, deux courants opposés qui se partagent le mouvement de la langue : la tendance à employer l’instrument lexicologique, le signe immotivé, et la préférence accordée à l’instrument grammatical, c’est-à-dire à la règle de construction.
¹⁸³⁻²⁷On verrait par exemple que l’anglais donne une place beaucoup plus considérable à l’immotivé que l’allemand ; mais le type de l’ultra-lexicologique est le chinois, tandis que l’indo-européen et le sanscrit sont des spécimens de l’ultragrammatical. ¹⁸³⁻³¹Dans l’intérieur d’une même langue, tout le mouvement de l’évolution peut être marqué par un passage continuel du motivé à l’arbitraire et de l’arbitraire au motivé ; ce va-et-vient a souvent pour résultat de déplacer sensiblement les proportions de ces deux catégories de signes. ¹⁸⁴⁻¹Ainsi le français est caractérisé par rapport au latin, entre autres choses, par un énorme accroissement de l’arbitraire : tandis qu’en latin $${\textit{inimīcus}}$$ rappelle $${\textit{in-}}$$ et $${\textit{amīcus}}$$ et se motive par eux, $${\textit{ennemi}}$$ ne se motive par rien ; il est rentré dans l’arbitraire absolu, qui est d’ailleurs la condition essentielle du signe linguistique. […]
註解 § 3.
¹⁸⁰⁻²⁷Le mécanisme de la langue peut être présenté sous un autre angle particulièrement important.
¹⁸⁰⁻²⁹Le principe fondamental de l’arbitraire du signe n’empêche pas de distinguer dans chaque langue ce qui est radicalement arbitraire, c’est-à-dire immotivé, de ce qui ne l’est que relativement.
¹⁸⁰⁻³²Une partie seulement des signes est absolument arbitraire ; chez d’autres intervient un phénomène qui permet de reconnaître des degrés dans l’arbitraire sans le supprimer : $${\textit{le}}$$ $${\textit{signe}}$$ $${\textit{peut}}$$ $${\textit{être}}$$ $${\textit{relativement}}$$ $${\textit{motivé.}}$$
¹⁸¹⁻⁵Ainsi $${\textit{vingt}}$$ est immotivé, mais $${\textit{dix-neuf}}$$ ne l’est pas au même degré, parce qu’il évoque les termes dont il se compose et d’autres qui lui sont associés, par exemple $${\textit{dix,}}$$ $${\textit{neuf,}}$$ $${\textit{vingt-neuf,}}$$ $${\textit{dix-huit,}}$$ $${\textit{soixante-dix,}}$$ etc. ; pris séparément, $${\textit{dix}}$$ et $${\textit{neuf}}$$ sont sur le même pied que $${\textit{vingt,}}$$ mais $${\textit{dix-neuf}}$$ présente un cas de motivation relative.
¹⁸¹⁻¹⁰Il en est de même pour $${\textit{poirier,}}$$ qui rappelle le mot simple $${\textit{poire}}$$ et dont le suffixe $${\textit{-ier}}$$ fait penser à $${\textit{cerisier,}}$$ $${\textit{pommier,}}$$ etc. ; pour $${\textit{frêne,}}$$ $${\textit{chêne,}}$$ etc., rien de semblable.
¹⁸¹⁻¹³Comparez encore $${\textit{berger,}}$$ complètement immotivé, et $${\textit{vacher,}}$$ relativement motivé ; […]
¹⁸²⁻¹⁴Jusqu’ici, les unités nous sont apparues comme des valeurs, c’est-à-dire comme les éléments d’un système, et nous les avons considérées surtout dans leurs oppositions ; maintenant nous reconnaissons les solidarités qui les relient ; elles sont d’ordre associatif et d’ordre syntagmatique, et ce sont elles qui limitent l’arbitraire.
¹⁸²⁻¹⁹$${\textit{Dix-neuf}}$$ est solidaire associativement de $${\textit{dix-huit,}}$$ $${\textit{soixante-dix}}$$ etc., et syntagmatiquement de ses éléments $${\textit{dix}}$$ et $${\textit{neuf.}}$$
¹⁸²⁻²²Cette double relation lui confère une partie de sa valeur.
¹⁸³⁻⁴Il n’existe pas de langue où rien ne soit motivé ; quant à en concevoir une où tout le serait, cela serait impossible par définition.
¹⁸³⁻⁶Entre les deux limites extrêmes — minimum d’organisation et minimum d’arbitraire — on trouve toutes les variétés possibles.
¹⁸³⁻⁸Les divers idiomes renferment toujours des éléments des deux ordres — radicalement arbitraires et relativement motivés — mais dans des proportions très variables, et c’est là un caractère important, qui peut entrer en ligne de compte dans leur classement.
¹⁸³⁻¹³En un certain sens — qu’il ne faut pas serrer de trop près, mais qui rend sensible une des formes de cette opposition — on pourrait dire que les langues où l’immotivité atteint son maximum sont plus $${\textit{lexicologiques,}}$$ et celles où il s’abaisse au minimum, plus $${\textit{grammaticales.}}$$
¹⁸³⁻¹⁷Non que « lexique » et « arbitraire » d’une part, « grammaire » et « motivation relative » de l’autre, soient toujours synonymes ; mais il y a quelque chose de commun dans le principe.
¹⁸³⁻²¹Ce sont comme deux pôles entre lesquels se meut tout le système, deux courants opposés qui se partagent le mouvement de la langue : la tendance à employer l’instrument lexicologique, le signe immotivé, et la préférence accordée à l’instrument grammatical, c’est-à-dire à la règle de construction.
¹⁸³⁻²⁷On verrait par exemple que l’anglais donne une place beaucoup plus considérable à l’immotivé que l’allemand ; mais le type de l’ultra-lexicologique est le chinois, tandis que l’indo-européen et le sanscrit sont des spécimens de l’ultragrammatical.
¹⁸³⁻³¹Dans l’intérieur d’une même langue, tout le mouvement de l’évolution peut être marqué par un passage continuel du motivé à l’arbitraire et de l’arbitraire au motivé ; ce va-et-vient a souvent pour résultat de déplacer sensiblement les proportions de ces deux catégories de signes.
¹⁸⁴⁻¹Ainsi le français est caractérisé par rapport au latin, entre autres choses, par un énorme accroissement de l’arbitraire : tandis qu’en latin $${\textit{inimīcus}}$$ rappelle $${\textit{in-}}$$ et $${\textit{amīcus}}$$ et se motive par eux, $${\textit{ennemi}}$$ ne se motive par rien ; il est rentré dans l’arbitraire absolu, qui est d’ailleurs la condition essentielle du signe linguistique.
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