ソシュール『一般言語学講義』註解 #22
このシリーズについての概要および凡例はこちら。
原著: pp. 231-237
小林訳: pp. 235-241
菅田訳: pp. 162-167
町田訳: pp. 236-242
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文 § 1.
CHAPITRE V
ANALOGIE ET ÉVOLUTION
§ 1. COMMENT UNE INNOVATION ANALOGIQUE ENTRE DANS LA LANGUE.
²³¹⁻⁵Rien n’entre dans la langue sans avoir été essayé dans la parole, et tous les phénomènes évolutifs ont leur racine dans la sphère de l’individu. ²³¹⁻⁷Ce principe s’applique tout particulièrement aux innovations analogiques. ²³¹⁻⁸Avant que $${\textit{honor}}$$ devienne un concurrent susceptible de remplacer $${\textit{honōs,}}$$ il a fallu qu’un premier sujet l’improvise, que d’autres l’imitent et le répètent, jusqu’à ce qu’il s’impose à l’usage.
²³¹⁻¹³Il s’en faut que toutes les innovations analogiques aient cette bonne fortune. ²³¹⁻¹⁴A tout instant on rencontre des combinaisons sans lendemain que la langue n’adoptera probablement pas. […]
註解 § 1.
²³¹⁻⁵Rien n’entre dans la langue sans avoir été essayé dans la parole, et tous les phénomènes évolutifs ont leur racine dans la sphère de l’individu.
²³¹⁻⁷Ce principe s’applique tout particulièrement aux innovations analogiques.
²³¹⁻⁸Avant que $${\textit{honor}}$$ devienne un concurrent susceptible de remplacer $${\textit{honōs,}}$$ il a fallu qu’un premier sujet l’improvise, que d’autres l’imitent et le répètent, jusqu’à ce qu’il s’impose à l’usage.
²³¹⁻¹³Il s’en faut que toutes les innovations analogiques aient cette bonne fortune.
²³¹⁻¹⁴A tout instant on rencontre des combinaisons sans lendemain que la langue n’adoptera probablement pas.
Cours 原文 § 2.
§ 2. LES INNOVATIONS ANALOGIQUES
SYMPTOMES DES CHANGEMENTS D’INTERPRÉTATION.
²³²⁻¹⁹La langue ne cesse d’interpréter et de décomposer les unités qui lui sont données. ²³²⁻²⁰Mais comment se fait-il que cette interprétation varie constamment d’une génération à l’autre ? […]
²³³⁻²⁶Or, quelle que soit l’origine de ces changements d’interprétation, ils se révèlent toujours par l’apparition de formes analogiques. […] ²³³⁻³²L’analogie est donc la preuve péremptoire qu’un élément formatif existe à un moment donné comme unité significative. ²³³⁻³⁴$${\textit{Merīdiōnālis}}$$ (Lactance) pour $${\textit{merīdiālis,}}$$ montre qu’on divisait $${\textit{septentri-ōnālis,}}$$ $${\textit{regi-ōnālis,}}$$ et pour montrer que le suffixe $${\textit{-tāt-}}$$ s’était grossi d’un élément $${\textit{i}}$$ emprunté au radical on n’a qu’à alléguer $${\textit{celer-itātem}}$$ ; $${\textit{pāg-ānus,}}$$ formé sur $${\textit{pāg-us,}}$$ suffit à montrer comment les Latins analysaient $${\textit{Rōm-ānus}}$$ ; […]
²³⁵⁻³Elle est la collaboratrice efficace de toutes les forces qui modifient sans cesse l’architecture d’un idiome, et à ce titre elle est un puissant facteur d’évolution.
註解 § 2.
²³²⁻¹⁹La langue ne cesse d’interpréter et de décomposer les unités qui lui sont données.
²³²⁻²⁰Mais comment se fait-il que cette interprétation varie constamment d’une génération à l’autre ?
²³³⁻²⁶Or, quelle que soit l’origine de ces changements d’interprétation, ils se révèlent toujours par l’apparition de formes analogiques.
²³³⁻³²L’analogie est donc la preuve péremptoire qu’un élément formatif existe à un moment donné comme unité significative.
²³³⁻³⁴$${\textit{Merīdiōnālis}}$$ (Lactance) pour $${\textit{merīdiālis,}}$$ montre qu’on divisait $${\textit{septentri-ōnālis,}}$$ $${\textit{regi-ōnālis,}}$$ et pour montrer que le suffixe $${\textit{-tāt-}}$$ s’était grossi d’un élément $${\textit{i}}$$ emprunté au radical on n’a qu’à alléguer $${\textit{celer-itātem}}$$ ; $${\textit{pāg-ānus,}}$$ formé sur $${\textit{pāg-us,}}$$ suffit à montrer comment les Latins analysaient $${\textit{Rōm-ānus}}$$ ; […]
²³⁵⁻³Elle est la collaboratrice efficace de toutes les forces qui modifient sans cesse l’architecture d’un idiome, et à ce titre elle est un puissant facteur d’évolution.
Cours 原文 § 3.
§ 3. L’ANALOGIE, PRINCIPE DE RÉNOVATION ET DE CONSERVATION.
[…] ²³⁵⁻²¹Les innovations de l’analogie sont plus apparentes que réelles. ²³⁵⁻²²La langue est une robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre étoffe. ²³⁵⁻²³Les quatre cinquièmes du français sont indo-européens, si l’on pense à la substance dont nos phrases se composent, tandis que les mots transmis dans leur totalité, sans changement analogique, de la langue mère jusqu’au français moderne, tiendraient dans l’espace d’une page (par exemple : $${\textit{est}}$$ = $${\text{*}\textit{esti,}}$$ les noms de nombres, certains vocables, tels que $${\textit{ours,}}$$ $${\textit{nez,}}$$ $${\textit{père,}}$$ $${\textit{chien,}}$$ etc.). ²³⁵⁻³⁰L’immense majorité des mots sont, d’une manière ou d’une autre, des combinaisons nouvelles d’éléments phoniques arrachés à des formes plus anciennes. ²³⁵⁻³³Dans ce sens, on peut dire que l’analogie, précisément parce qu’elle utilise toujours la matière ancienne pour ses innovations, est éminemment conservatrice. […]
²³⁶⁻¹²Le latin $${\textit{agunt}}$$ s’est transmis à peu près intact depuis l’époque préhistorique (où l’on disait $${\text{*}\textit{agonti}\text{)}}$$ jusqu’au seuil de l’époque romane. […] ²³⁶⁻¹⁶L’analogie n’est-elle pour rien dans cette conservation ? […] ²³⁶⁻¹⁹$${\textit{Agunt}}$$ est encadré dans un système ; il est solidaire de formes telles que $${\textit{dīcunt,}}$$ $${\textit{legunt,}}$$ etc., et d’autres telles que $${\textit{agimus,}}$$ $${\textit{agitis,}}$$ etc. ²³⁶⁻²¹Sans cet entourage il avait beaucoup de chances d’être remplacé par une forme composée de nouveaux éléments. ²³⁶⁻²³Ce qui a été transmis, ce n’est pas $${\textit{agunt,}}$$ mais $${\textit{ag-unt}}$$ ; la forme ne change pas, parce que $${\textit{ag-}}$$ et $${\textit{-unt}}$$ étaient régulièrement vérifiés dans d’autres séries, et c’est ce cortège de formes associées qui a préservé $${\textit{agunt}}$$ le long de la route. […]
²³⁶⁻³⁰Ainsi les formes se maintiennent parce qu’elles sont sans cesse refaites analogiquement ; un mot est compris à la fois comme unité et comme syntagme, et il est conservé pour autant que ses éléments ne changent pas. ²³⁶⁻³³Inversement son existence n’est compromise que dans la mesure où ses éléments sortent de l’usage. ²³⁶⁻³⁵Voyez ce qui se passe en français pour $${\textit{dites}}$$ et $${\textit{faites,}}$$ qui correspondent directement à latin $${\textit{dīc-itis,}}$$ $${\textit{fac-itis,}}$$ mais qui n’ont plus de point d’appui dans la flexion verbale actuelle ; la langue cherche à les remplacer ; on entend dire $${\textit{disez,}}$$ $${\textit{faisez,}}$$ sur le modèle de $${\textit{plaisez,}}$$ $${\textit{lisez,}}$$ etc., et ces nouvelles finales sont déjà usuelles dans la plupart des composés $${\text{(}\textit{contredisez,}}$$ etc.).
²³⁷⁻⁷Les seules formes sur lesquelles l’analogie n’ait aucune prise sont naturellement les mots isolés, tels que les noms propres spécialement les noms de lieu (cf. $${\textit{Paris,}}$$ $${\textit{Genève,}}$$ $${\textit{Agen,}}$$ etc.), qui ne permettent aucune analyse et par conséquent aucune interprétation de leurs éléments ; aucune création concurrente ne surgit à côté d’eux. […]
註解 § 3.
²³⁵⁻²¹Les innovations de l’analogie sont plus apparentes que réelles.
²³⁵⁻²²La langue est une robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre étoffe.
²³⁵⁻²³Les quatre cinquièmes du français sont indo-européens, si l’on pense à la substance dont nos phrases se composent, tandis que les mots transmis dans leur totalité, sans changement analogique, de la langue mère jusqu’au français moderne, tiendraient dans l’espace d’une page (par exemple : $${\textit{est}}$$ = $${\text{*}\textit{esti,}}$$ les noms de nombres, certains vocables, tels que $${\textit{ours,}}$$ $${\textit{nez,}}$$ $${\textit{père,}}$$ $${\textit{chien,}}$$ etc.).
²³⁵⁻³⁰L’immense majorité des mots sont, d’une manière ou d’une autre, des combinaisons nouvelles d’éléments phoniques arrachés à des formes plus anciennes.
²³⁵⁻³³Dans ce sens, on peut dire que l’analogie, précisément parce qu’elle utilise toujours la matière ancienne pour ses innovations, est éminemment conservatrice.
²³⁶⁻¹²Le latin $${\textit{agunt}}$$ s’est transmis à peu près intact depuis l’époque préhistorique (où l’on disait $${\text{*}\textit{agonti}\text{)}}$$ jusqu’au seuil de l’époque romane.
²³⁶⁻¹⁶L’analogie n’est-elle pour rien dans cette conservation ?
²³⁶⁻¹⁹$${\textit{Agunt}}$$ est encadré dans un système ; il est solidaire de formes telles que $${\textit{dīcunt,}}$$ $${\textit{legunt,}}$$ etc., et d’autres telles que $${\textit{agimus,}}$$ $${\textit{agitis,}}$$ etc.
²³⁶⁻²¹Sans cet entourage il avait beaucoup de chances d’être remplacé par une forme composée de nouveaux éléments.
²³⁶⁻²³Ce qui a été transmis, ce n’est pas $${\textit{agunt,}}$$ mais $${\textit{ag-unt}}$$ ; la forme ne change pas, parce que $${\textit{ag-}}$$ et $${\textit{-unt}}$$ étaient régulièrement vérifiés dans d’autres séries, et c’est ce cortège de formes associées qui a préservé $${\textit{agunt}}$$ le long de la route.
²³⁶⁻³⁰Ainsi les formes se maintiennent parce qu’elles sont sans cesse refaites analogiquement ; un mot est compris à la fois comme unité et comme syntagme, et il est conservé pour autant que ses éléments ne changent pas.
²³⁶⁻³³Inversement son existence n’est compromise que dans la mesure où ses éléments sortent de l’usage.
²³⁶⁻³⁵Voyez ce qui se passe en français pour $${\textit{dites}}$$ et $${\textit{faites,}}$$ qui correspondent directement à latin $${\textit{dīc-itis,}}$$ $${\textit{fac-itis,}}$$ mais qui n’ont plus de point d’appui dans la flexion verbale actuelle ; la langue cherche à les remplacer ; on entend dire $${\textit{disez,}}$$ $${\textit{faisez,}}$$ sur le modèle de $${\textit{plaisez,}}$$ $${\textit{lisez,}}$$ etc., et ces nouvelles finales sont déjà usuelles dans la plupart des composés $${\text{(}\textit{contredisez,}}$$ etc.).
²³⁷⁻⁷Les seules formes sur lesquelles l’analogie n’ait aucune prise sont naturellement les mots isolés, tels que les noms propres spécialement les noms de lieu (cf. $${\textit{Paris,}}$$ $${\textit{Genève,}}$$ $${\textit{Agen,}}$$ etc.), qui ne permettent aucune analyse et par conséquent aucune interprétation de leurs éléments ; aucune création concurrente ne surgit à côté d’eux.
ここから先は
¥ 100
この記事が気に入ったらサポートをしてみませんか?