Le Chant du Temple : Une Symbiose Musicale et Spirituelle à Travers les Âges
Meguro Fudōson Ryūsen-ji créé en l’an 808 est l’un des trois grands temples bouddhistes Fudō du Japon et le plus ancien de la région de Kantō (région de Tokyo). C’est dans ce lieu chargé d’histoire qu'a été enregistré il y a dix ans l'album de musique méditative "dive into silence”. Cet album est sorti sous le label Nippon Columbia.
À l’occasion de cet événement, les partitions des morceaux de l'album sont maintenant en vente. Ces partitions se composent de parties solistes de marimba et d’ensemble de diverses percussions.
Pour célébrer cet anniversaire, M. Koudou Takiguchi, bonze principal, responsable du temple de Meguro Fudōson Ryūsen-ji, et le compositeur François Du Bois discuteront de la création de "dive into silence".
Cet album s’appuie dans sa composition sur la méthode ancienne chinoise du "Liu Zi Jue" (les six sons de guérison). Ils partageront sur la Genèse du projet, ils nous révèleront des anecdotes et leurs pensées dix ans après sa sortie. Quel regard portent-ils aujourd'hui sur leur collaboration.
Le hasard singulier qui les a réunis
Journaliste (J) : Tout d'abord, pourriez-vous nous dire comment vous vous êtes rencontrés et pourquoi vous avez décidé de créer cet album “dive into silence” ?
Koudou Takiguchi (K) : Notre première rencontre remonte à l'époque où je cherchais à pratiquer le Wudang Neijiaquan, un art martial chinois, pour des raisons de santé, je cherchais un maître par Internet et j’ai découvert les activités martiales de M. Du Bois, il est devenu mon professeur. Nous avons commencé par cette relation sans lien dans un premier temps avec la musique, par un rapport donc de maître à élève dans le domaine des arts martiaux chinois.
Nous pratiquions dans la salle de réception du temple, et chaque fois, je l'emmenais au Kannon-dō (le hall de la divinité de la miséricorde) à côté.
Alors que la statue principale de Kannon revenait tout juste de restauration, l'idée de jouer et d'enregistrer de la musique dans le hall est née petit à petit de nos nombreuses discussions.
François Du Bois (FDB) : Un autre élément important du point de vue de la création est qu'à l'époque, il y avait une profusion de musique dite de méditation, mais la plupart d'entre elles utilisaient des sons électroniques, qui différaient des vibrations, des résonances, des fréquences naturelles et autres harmoniques.
Bien que ces musiques puissent être perçues comme agréables par l'esprit humain, elles ne généraient pas, selon nous, les résonances naturelles qui permettaient d'entrer véritablement en méditation. Nous étions tous deux du même avis, ce qui nous a conduits à penser qu'il fallait faire quelque chose, un projet, qui propose vraiment quelque chose de nouveau.
K : En d'autres termes, il y avait beaucoup de musiques apaisantes pour l'âme et la relaxation, mais une musique spécifiquement dédiée à la méditation, et surtout conçue pour faciliter cette dernière simplement par l'écoute, était quelque chose de très rare.
FDB : Ce qui abondait à l'époque, c'était ce que j'appelais la "musique de salle d'attente de dentiste" ou le genre de musique que l'on entend dans les stations thermales au Japon (rires).
Jikaku Daishi Ennin, moteur du projet
K : De plus, l'année marquait également le 1150ᵉ anniversaire de la mort du maître fondateur du temple, le grand maître Jikaku Daishi Ennin (note 1). Tous ces éléments se sont alignés pour rendre ce projet possible.
Note 1 : Jikaku Daishi Ennin (794-864) : Le troisième abbé de l’école Tendai du mont Hiei. Il s'est rendu en Chine en tant qu'émissaire impérial et a ramené d'importants textes bouddhistes. Son journal de voyage détaillé sur son périple de neuf ans : "Nittō Guhō Junrei Kōki" (Journal d’un voyageur en Chine au 9ᵉ siècle), est considéré comme l'un des trois plus grands récits de voyage dans le monde.
FDB : Quand nous avons évoqué le nom de Jikaku Daishi Ennin, j'ai immédiatement cherché à me procurer son livre en version française. Je l’ai lu et j’ai trouvé cet ouvrage incroyablement détaillé et vraiment fascinant.
K : Les recherches sur Jikaku Daishi sont plus avancées à l'étranger, y compris en France. Si vous cherchez "Ennin" en alphabétisation, vous trouverez de nombreux documents.
Son journal "Nittō Guhō Junrei Kōki" est une source de première importance pour comprendre la Chine et le peuple chinois. Il est très bien documenté et permet d’appréhender ce qui se passait à l'époque. En lisant "Nittō Guhō Junrei Kōki", on se rend compte que les gens vivaient pratiquement de la même manière qu'aujourd'hui.
Après l'enregistrement, en écoutant les sons produits, j'ai eu une inspiration ; je me suis rendu compte que cet album conceptuel exprimait les pratiques, les voyages et l’évolution d’Ennin. Écoutée de cette manière, la musique forme une histoire cohérente, à savoir un travail sur la musique et le parcours du Maître.
On peut donc écouter cette musique comme une musique de méditation basée sur le "Liu Zi Jue", ou comme une histoire racontant la vie d’Ennin.
C'est l'une des manières, l’une des approches pour écouter cette œuvre.
Son lien avec les six sons de guérison (Liu Zi Jue)
J : Vous avez mentionné le "Liu Zi Jue", est-ce que l’un d’entre vous peut nous en dire plus à ce sujet ?
FDB : C'est une ancienne méthode de méditation chinoise, également appelée Qigong en chinois.
Le "Liu Zi Jue" est une méditation visant à prévenir les maladies des cinq organes principaux (cœur, foie, rate, poumons, reins), en travaillant directement sur ces derniers. C'est une méditation très bien conçue.
K : D'autres CDs de méditation existent, mais un CD comme “dive into silence”, basé sur le concept du “Liu Zi Jue”, est unique. En y ajoutant le thème de Jikaku Daishi Ennin, cela en fait une œuvre véritablement unique au monde, sans équivalent, pardonnez-moi d’insister (rires).
FDB : C’est surprenant ce que tu dis, pour ma part, je n’aurais jamais imaginé que “dive into silence” ait pu être une sorte d’adaptation musicale de la vie d’Ennin. C’est intéressant.
K : Si un jour un réalisateur décide de faire un film sur la vie de Jikaku Daishi Ennin, il pourrait certainement utiliser “dive into silence” pour réaliser son projet. On peut facilement imaginer que cette musique illustrera parfaitement les différentes scènes du film.
FDB : C'est vraiment une musique qui vous a beaucoup inspiré cher Koudou. Ça me fait très plaisir.
K : Espérons que cette interview inspira quelqu'un quelque part pour réaliser ce film. (rires)
La musique médita
J : On l’espère en effet.
M. Du Bois, parlez-nous maintenant de la création de l’album qui est en fait un double album, et de ce que vous avez appelé la musique médita.
FDB : Avec plaisir ! Au moment de la création de “dive into silence” nous étions bien sûr concentrés sur le concept du "Liu Zi Jue". En fait, au départ, j'avais dans l’idée de m’adresser à des gens qui connaissaient déjà la méditation et l’influence que cette pratique pouvait avoir sur eux, mais je me suis vite rendu compte que la musique convenait parfaitement à un public beaucoup plus large n’ayant même aucune connaissance des pratiques méditatives.
Il existe déjà plusieurs genres de musique destinée a priori à la relaxation, avec ce projet de “dive into silence”, je voulais aller plus loin et Koudou également.
Nous voulions que l’auditeur puisse entrer sans effort dans une sorte de méditation générée par l’écoute de la musique. Pour ce faire, il est apparu clairement que le travail devait être fait en amont, c'est-à-dire au moment de la composition.
C’est comme cela qu’est née le concept de musique médita.
Pour mettre au point cette nouvelle catégorie de musique, il me fallait travailler, en plus de la composition par elle-même, sur les vibrations, les résonances, les harmoniques et faire en sorte au final que l’interprète soit en état méditatif lui-même au moment de l’enregistrement.
Pour obtenir l’effet escompté, je me suis aperçu très vite que les morceaux devaient durer environ 20 minutes.
Voilà en résume les différences entre une musique standard de relaxation et la musique médita.
Pourquoi un morceau dure-t-il 20 minutes ?
J : Je vois, c’est un concept très intéressant. Vous venez de nous dire que chaque morceau avait une durée de 20 minutes, en quoi est-ce si important ?
FDB : C’est simple, prenons l’exemple des chansons qui durent entre 3 et 5 minutes, avec des refrains et divers éléments qui s’adressent à notre émotion, les exaltent en quelque sorte.
Ce format a beaucoup influencé la façon dont les gens écoutent la musique depuis le siècle dernier et même avant, surtout dans le monde occidental. Cependant, dans "dive into silence", ce n'est pas du tout le cas, on n’a pas cherché dans cette direction.
Quand on écoute une chanson, voire une musique de film qui a en général comme objectif la création d’émotions chez l’auditeur pour former un tout avec le scenario, les images et le jeu des acteurs, on s’installe dans cet univers émotionnel, c’est l’objectif espéré !
Avec la musique médita, on cherche au contraire à ce que l’auditeur ne soit plus en quête de ces sensations. En écoutant l’un des morceaux de “dive into silence”, il va chercher dans un premier temps à les retrouver, mais plus le morceau avance, moins il les recherchera et finalement s’abandonnera à d’autres sensations plus proches de son “Moi profond”, atteignant ainsi une sorte de lâcher prise. C'est la base de la méditation.
Pour obtenir ce résultat, il faut une durée minimum de 20 minutes afin que le cerveau fasse le travail et s’éloigne de la recherche des formes auxquelles il est habitué.
K : D'après mes connaissances, une méditation de 20 minutes est idéale pour commencer. Pour une expérience plus profonde, il est recommandé de viser au moins 40 minutes.
Lorsque les gens commencent à méditer, ils sont souvent confrontés à un désordre mental, une sorte de "maladie moderne". Rester assis en silence ne suffit pas toujours à y faire face, c'est pourquoi nous proposons de plonger dans le son. Avec l'élément du "Liu Zi Jue", la méditation agit sur le corps tandis que la musique apaise les pensées. Écouter pendant 20 minutes, puis rester en silence pendant 20 minutes, permet d'atteindre une "méditation complète".
Un croisement de riches contextes culturels et historiques
FDB : Très bonne explication de Koudou !
J’aimerais juste ajouter quelques détails.
Je suis un Français, d'origine occidentale donc, et bien que beaucoup l'ignorent, je suis taoïste. De son côté, Koudou est un Japonais d'origine asiatique et bouddhiste. Cette combinaison est exceptionnelle, car elle allie des philosophies et des valeurs bien plus anciennes que le catholicisme, pilier de la société occidentale. Nos expériences de vie et nos philosophies respectives se sont rencontrées ici.
Les vastes connaissances de Koudou, héritier d'une grande lignée de moines sont impressionnantes, son ouverture d’esprit ne l’est pas moins. Il connaît même le "Liu Zi Jue", qui est pourtant une pratique taoïste chinoise. Sa curiosité dépasse le cadre du bouddhisme, il s'intéresse à tout et cherche immédiatement à en savoir plus. C’est un formidable partenaire.
En ce qui me concerne, et pour que vos lecteurs comprennent mieux mon parcours et ma collaboration avec Koudou, je suis compositeur de musique, originaire de la campagne bourguignonne et ayant fait mes études supérieures à Paris. Pendant ces études, je suis parti en Afrique pour poursuivre ma formation musicale. Actuellement, bien que vivant à Tokyo, je me rends souvent dans les montagnes sacrées du taoïsme en Chine pour pratiquer.
J : Votre esprit de quête a toujours tracé votre chemin visiblement ?
FDB : Oui, c'est un peu ça !
Nous avons mis en commun nos expériences pour créer quelque chose d'unique. Nous partageons une même passion pour comprendre ce qui se passe vraiment et chercher la vérité. Cette rencontre a permis de créer une œuvre qui fait écho à la vie d'Ennin, qui lui aussi, a passé sa vie à chercher des réponses. Notre engagement commun dans cette quête spirituelle a donné naissance à “dive into silence”.
Ce n'est pas simplement du silence, mais un silence rempli de richesse.
Je m’explique, Koudou et moi partageons la même compréhension du concept de "Kū" (空) (le vide) qui apparaît souvent en méditation. Pour nous, le vide (空) est rempli de nombreuses choses, alors que pour beaucoup de gens, le vide signifie être dépouillé de tout, synonyme de renoncement complet. Mais ce n'est pas le cas. C'est pour cela que nous avons pu créer quelque chose de vraiment magique, à nos yeux en tout cas et c'est merveilleux.
Méthode de méditation recommandée depuis 1 400 ans.
J : Merci pour ces explications très détaillées, on comprend mieux la Genèse du projet !
Une petite question encore : Pourquoi avoir choisi le "Liu Zi Jue" parmi toutes les méthodes de méditation existantes ?
FDB : Le "Liu Zi Jue" a été choisi comme concept central, car Koudou et moi étions tous deux d'accord sur sa valeur. Il est simple à comprendre et à intégrer.
Koudou, une question ! Existe-t-il dans le bouddhisme quelque chose de similaire au "Liu Zi Jue" qui cible les différents organes du corps ?
K : Je ne suis pas certain que cela soit spécifiquement bouddhiste, mais le maître Tendai Zhiyi (天台智顗), un grand maître bouddhiste chinois, a écrit un ouvrage intitulé "Móhē zhǐguān" (摩訶止観), qui signifie "Grande concentration et intuition". Dans ce livre, il recommande la pratique du "Liu Zi Jue" pour ceux qui trouvent difficile d'entrer directement en méditation. Cela montre que le "Liu Zi Jue" était déjà connu en Chine pendant la dynastie Sui (581-618). Étant donné que Jikaku Daishi (Ennin) a vécu pendant la dynastie Tang (618-907), il est probable qu'il ait été familier avec le "Liu Zi Jue". Cela établit un lien entre les différentes périodes et pratiques.
※3 Maître Tendai (538-597) était appelé le “ Shakyamuni” de Chine et est connu pour être le fondateur de l'école Tendai, grande école de bouddhisme chinois.
FDB : Dans la pratique taoïste, la méditation est fondamentale, et le "Liu Zi Jue" est particulièrement efficace pour commencer. Beaucoup pensent que la méditation est difficile, et c'est vrai que certaines formes bouddhistes, comme celles du zen sōtō, sont très exigeantes. S'asseoir en silence pour méditer est une méthode avancée et n'est pas à la portée de tout le monde. J'ai discuté avec des jeunes moines sōtō, et ils rencontrent souvent des difficultés importantes. Pour certains, il peut s'écouler des heures sans qu'ils atteignent réellement l'état méditatif.
Les fausses idées sur « la méditation » et « le vide »
K : Ceux qui n'y parviennent pas cherchent probablement un silence absolu, mais ce qu'ils appellent un état de "non-esprit" ou de "non-soi" n'est pas le silence tel que nous le concevons. Ce n'est pas un silence complet, sans son, mais quelque chose de plus riche, comme le fond de la mer. C'est pourquoi nous avons choisi le terme "dive" (plonger, en anglais).
Prenons l'exemple de l'océan : il est riche et varié, avec des poissons, des algues, des zones lumineuses et des zones sombres, des eaux peu profondes et des abysses. Nous plongeons dans cet environnement riche. Ce n'est pas un silence total ou un néant, mais un lieu calme et en mouvement à la fois. La mort est souvent perçue comme une cessation totale, mais en réalité, elle est aussi riche.
Nous ne nous entraînons pas pour cesser de vivre. Ainsi, le titre "dive into silence" a une signification profonde.
Choisir une voie naturelle pour soi-même
FDB : C’est très vrai Koudou et en parlant d’entraînement, il est important de noter qu'il n’existe pas de méthode universelle parfaite. Le choix d’une méthode qui ne correspond pas à votre chemin peut être une erreur.
Par exemple, mon mentor de l'école Tendai, le grand maître Nishi, était capable de mener un entraînement très rigoureux, ce qui correspondait à sa nature et l’a conduit à devenir une figure exceptionnelle de sa tradition. Cependant, cela ne signifie pas que cette méthode convient à tous les moines de l'école Tendai.
Choisir une méthode qui ne vous aide pas à progresser est une erreur. Il est crucial d’en choisir une qui vous permet de progresser concrètement, plutôt que de se baser sur des critères superficiels. C’est ce qu’on appelle suivre le véritable Tao (ou Dao).
Pour ma part, j’ai été élevé dans une culture catholique, mais je n'ai jamais trouvé de valeurs qui m’étaient totalement adaptées. Ce n'est qu'en découvrant les écrits de Laozi à vingt ans que j’ai eu une révélation. Pour un taoïste, le fondement et le maître sont la nature. Tout ce que nous recherchons dans notre quête spirituelle provient de la nature elle-même.
Les arts martiaux taoïstes, par exemple, s’inspirent de tout ce qui existe dans la nature.
L’essence du corps humain est souvent comparée aux arbres. Nous cultivons une sensation de racines profondes, notre tronc est comme celui de l’arbre, et nos bras ressemblent à des branches se balançant dans le vent. Les feuilles tombent en automne et repoussent au printemps. Nous, les humains, vivons et nous entraînons en nous inspirant de ce cycle naturel.
Il y a un passage du film d’animation “Kung-Fu Panda” que j’aime beaucoup. Le grand maître dit : “Un pêcher ne donne des pêches que lorsque la saison est arrivée”. Tout suit le rythme de la nature.
Dans toutes les écoles, ceux qui suivent un entraînement rigoureux finissent généralement par se rencontrer. Par exemple, lorsque je m'entraînais dans les montagnes de Wudang, des moines du temple Shaolin, adeptes du bouddhisme chán (associé au Zen), venaient régulièrement. Leur entraînement est assez similaire à celui du taoïsme. La meilleure manière de déterminer si une méthode vous convient est de l’essayer vous-même.
La musique fonctionne de manière semblable. Si vous aimez le jazz, que vous vous sentez à l'aise avec ce style et que vous adorez l'improvisation, alors le jazz sera votre musique et vous vous identifierez comme un jazzman. Chacun a un style qui lui convient.
K : Pour choisir le chemin qui vous fait grandir, la voie naturelle est toujours la meilleure option.
FDB : Exactement. Nous avons la même façon d’appréhender les choses. Même si nous avons suivi des chemins différents, nous nous retrouvons ici.
Une puissance insondable derrière la musique
J : Merci beaucoup à vous deux, c’est très inspirant comme paroles. Pouvez-vous nous parler maintenant des morceaux de l'album ?
FDB : Il nous faut dans un premier temps comprendre le mode de fonctionnement du "Liu Zi Jue". Cette technique définie le concept des cinq organes et six viscères, qui existe aussi pour les japonais. Selon le taoïsme, le bon fonctionnement des organes est essentiel pour maintenir une bonne santé et prolonger la vie.
L'objectif ultime pour rester en bonne santé est de continuer à apprendre et à explorer jusqu'à la fin de sa vie. En vieillissant, les douleurs et les maladies peuvent rendre l'apprentissage difficile, donc être en bonne santé permet de conserver l'énergie nécessaire pour cette quête.
Le "Liu Zi Jue" est une technique de méditation qui aide à équilibrer et à nourrir les organes internes. Il se concentre sur cinq organes principaux : le cœur, le foie, la rate ou l'estomac, les poumons et les reins. Le sixième élément, appelé "San Jiao", régule la circulation du Qi et des liquides dans le corps, ce qui est similaire à l'idée d'homéostasie en médecine occidentale.
Chaque organe a un rôle spécifique et un son associé. Par exemple, le cœur est lié au son "Ke/Hu", et le foie au son "Xu". Ces sons aident à renforcer et équilibrer les fonctions des organes.
Pendant la méditation du "Liu Zi Jue", on prononce des sons spécifiques pour engendrer des vibrations dans les organes. Dans l'album “dive into silence”, les morceaux sont conçus pour créer les vibrations dans ces mêmes organes.
Nous avons choisi de nommer les morceaux d'après les couleurs associées aux organes, car utiliser uniquement les noms aurait manqué d'esthétique (rires).
Les morceaux s’appellent : Rouge (pour le cœur), Vert (pour le foie), Jaune (pour la rate ou le pancréas), Blanc (pour les poumons), Bleu (pour les reins), Arc-en-ciel (pour l’intégralité du corps).
Disque1
1. Rouge [ Le cœur ]
2. Vert [ Le foie ]
3. Jaune [ La rate / le pancréas ]
Disque2
1. Blanc [ Les poumons ]
2. Bleu [ Les reins ]
3. Arc en ciel [ San Jiao ]
L'idée était de rendre la médecine traditionnelle chinoise et le "Liu Zi Jue" accessibles de manière simple, sans complication. Il n'est pas nécessaire de réfléchir profondément ; il suffit d'écouter. C'était l'accord que nous avions passé avec Koudou : que ce soit simple.
Une réalisation « parfaite »
J : Aujourd'hui, la demande pour la méditation est très élevée, mais il y a dix ans au Japon, elle n'était pas aussi courante ni perçue de manière aussi naturelle. Est-ce que votre musique était en avance sur son temps à l'époque ? Comment percevez-vous aujourd'hui, dix ans après, l'impact de cette musique ?
K : Permettez-moi de répondre d’abord, pour que le compositeur puisse développer par la suite.
À l’époque, comme vous l’avez mentionné, nous étions en avance sur notre temps, probablement même un peu trop. Mais en y regardant de plus près, c’était à la fois avant-gardiste et parfaitement adapté à l’époque paradoxalement et d’une certaine manière au moment de sa création. Je veux dire par là qu’on ne pouvait pas faire plus ni moins, on était pleinement dans la réalisation de l'œuvre à ce moment donné, vraiment, c'était quelque chose d’extraordinaire. Comme je l’ai dit plus tôt, cet album pourrait être la source d’inspiration d’un film, tellement il est riche en éléments.
FDB : Koudou, tu as très bien résumé la situation, je crois que ce n’est pas la peine que je développe, que dire d’autre (rires).
À ce moment-là, à ce moment précis, nous avons simplement tous les deux exprimé ce que nous avions en nous, donc je pense que l’expression “pleinement dans la réalisation" convient bien.
Nous avons aussi collaboré avec d’autres personnes, comme ton père Koudou, qui était le grand abbé à l’époque, tes frères qui ont participé aux enregistrements.
Un point important à préciser, c’est qu’avant d’enregistrer “dive into silence”, j’avais mis la musique de côté pendant plusieurs années. À cette époque, je me concentrais sur mon entrainement et ma formation dans les monts Wudang en Chine et je poursuivais le virage que j’avais entrepris dans le milieu des années 2000, à savoir m’occuper de la formation de le domaine du management personnel de carrière. J’avais commencé ce type d’activités quand j’enseignais à l’Université Keio.
J’ai écrit de nombreux livres sur le sujet et donné beaucoup de séminaires en entreprises.
C’est justement à cette période-là que Koudou m’a ramené vers la musique, et je tiens à le remercier encore une fois pour cela.
K : Je ne pense pas m’être appuyé sur un raisonnement bien élaboré ou avec quelques intentions pour te faire revenir dans l’univers musical, ce n’était pas intentionnel.
C'est juste arrivé comme ça. Si l'autre partie, la partie François Du Bois, n'avait pas eu en elle cette conscience de se tourner à nouveau vers la musique, elle n’aurait probablement pas saisi l’occasion. Donc, dans ce sens, elle a bien reçu le message et au bon moment, activant ainsi d’elle-même l'interrupteur.
FDB : C’est très joliment dit Koudou, merci.
Il y a un autre point important à soulever, c'est que la tradition bouddhiste Tendai à laquelle appartient Koudou est l'une des plus conservatrices au Japon. C'est un peu comme dans le catholicisme, ceux qui disent la messe en latin ! C’est assez fermée. Et c’est pourtant dans cet environnement que ce projet a réussi. C'est vraiment incroyable.
Une histoire miraculeuse qui ne se reproduira plus jamais
J : C'est vrai, on dirait une combinaison d'éléments de nature miraculeuse.
K : Oui, c'est ça. Normalement, dans la société, les gens planifient et font avancer leurs affaires, avancer les choses comme on dit. Mais pour ce projet, c'était déjà, d'une manière ou d'une autre prévu, il semblait teinté d’éléments spirituels. C’est sincèrement ma sensation de bonze, il y avait une sorte de volonté cosmique, comme un flux déjà planifié.
Par chance, les circonstances et les événements se sont alignés dans le monde matériel et ont permis la matérialisation du projet.
C'est ainsi que nous avons pu obtenir l'aide du temple, enregistrer spécialement dans la salle de Kannon, apporter nos équipements, ou utiliser les outils du temple, etc. Les éléments se sont ainsi liés pour rendre possible “dive into silence”.
Cela montre à mes yeux que c'est quelque chose qui ne peut pas être planifié par des humains. C'est comme si c'était destiné à être réalisé à ce moment-là et à ce moment-là seulement.
Que ce soit par les personnes présentes ou par les objets présents également.
J’ai la conviction que la création de cet album était prédéterminée quelque part, nous l'avons simplement découvert comme une réalité à mettre en place. C'est miraculeux.
Si quelqu'un d'autre que François Du Bois ou moi-même avait tenté de réaliser ce projet, je pense que probablement cela n'aurait jamais fonctionné ni abouti. Quant à un éventuel autre enregistrement musical à l'avenir, par d’autres personnes par exemple, assurément cela ne se reproduira pas dans ce temple.
Le temple de Meguro Fudo a plus de 1000 ans, on pourrait toujours imaginer que dans des temps lointains cela puisse arriver, mais je ne le crois pas, car pour moi, il n'y a rien de plus à faire de plus.
Pour aller plus en détails, je me suis aperçu qu’à l'époque où je voulais apprendre les arts martiaux chinois, j’étais en fait dans une sorte d’antichambre, un préambule à la création de cet album, plus en définitive que pour apprendre les arts martiaux. C'était tellement bien fait !
Même maintenant, pour ceux en mal d’investigation, il y a toujours des histoires à découvrir autour cet album.
La Bible est un livre qui existe depuis des milliers d'années, d'abord transmis par les prêtres, puis accessible à tous sous forme de livre. Pourtant, on continue d'y faire des découvertes et des révélations. De manière comparable, ce projet s'inscrit dans cette idée de découverte, comme une sorte de "texte sacré". Je ne dis pas cela juste parce que j'y ai participé, mais parce que je ressens vraiment que c'est à ce niveau, c'est mon ressenti en tant que croyant.
Petit conseil à vos lecteurs : Si vous ressentez une atmosphère étrange chez vous ou ailleurs, où les choses semblent désordonnées, diffuser cet album peut aider à harmoniser l'atmosphère !
FDB : Je pense exactement la même chose. De plus, “dive into silence” est sorti sous forme de double album par un label majeur : "Nippon Columbia". C'était vraiment une bonne surprise.
Une grâce qui s'appelle «L’éclaircie»
K : C’est vrai et après la sortie du double album "dive into silence", est sorti le single : "l'éclaircie". J’ai toujours porté une attention particulière à ce titre.
"L'éclaircie" est l'enfant de "dive into silence", c'est la grâce même. Ces deux entités sont connectées, elles se complètent.
FDB : Je précise que cette pièce a également été enregistrée dans le temple.
“L’éclaircie” symbolise l’éveil de l’âme dans une forme fondamentale et dépouillée.
K : Oui, absolument ! Écouter "l'éclaircie" vous donnera envie de découvrir "dive into silence". Ces deux œuvres se complètent mutuellement, et c'est quelque chose que nous, les créateurs, voulions mettre en avant.
FDB : Exactement !
J : Écouter vos récits nous permet de comprendre une fois de plus pourquoi "dive into silence" est une œuvre universelle et unique en tant qu'œuvre d'art. C'était une conversation très intéressante.
FDB : J’aimerais juste préciser concernant la sortie des partitions de “dive into silence” et de “l’éclaircie”, que ces dernières sont parfaitement fidèles à l’enregistrement au détail prêt.
Elles sont composées d’un marimba solo et d’ensembles de percussions dans lesquels les gongs et autres instruments à résonance sont très présents. Sur le morceau “Blanc”, il y a une partie vocale, il s’agit en fait d’un mantra à réciter à plusieurs.
J : Merci beaucoup, Monsieur Takiguchi et Monsieur Du Bois, de nous avoir révélé les secrets de "dive into silence" et de nous avoir expliqué en détail les raisons qui ont motivé cette création.
FIN
"dive into silence" Partitions